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Webinaire – L’administration tunisienne à l’ère de sa digitalisation

Le Webinaire du 8 avril 2021, organisé par EURAFRIQUE LEGAL, visait à élaborer une réflexion sur les enjeux relatifs à la digitalisation de l’administration tunisienne. Modéré par Maya BOUREGHDA, avocate et CEO de Qanouni, la discussion fut portée par Kais KABADA, doyen de l’ordre des notaires de Tunisie, Neila BENZINA, CEO de WIMBEE, Thomas SAINT-AUBIN, CEO de Séraphin.Legal et ancien directeur de la direction de l’information légale et administrative française et Raoudha KHELIF, Directrice Générale des Technologies de l’Information au ministère tunisien des TIC.

Les enjeux relatifs à la digitalisation de l’administration sont nombreux, alors que la crise sanitaire a agi comme catalyseur de cette révolution tranquille. Quelques points saillants sont ressortis de ces échanges fructueux.

 

Le rôle des pouvoirs publics dans l’adoption et la promotion de la digitalisation des pratiques administratives

La transformation digitale est devenue au fil des années l’une des principales préoccupations de l’action publique en Tunisie. Par exemple, dans la stratégie nationale Tunisie Digitale 2021-2025, la transformation numérique de l’administration est un thème proéminent de la refonte des pratiques de bonne gouvernance. L’axe iGov est l’un des piliers de cette stratégie : identifiant unique citoyen, plateforme d’interopérabilité, refonte des applications nationales, gestion électronique des correspondances peuvent être mentionnés.  La transformation digitale n’est pas un simple projet de mise à disposition d’applications, mais bien un changement d’état d’esprit. C’est pourquoi il est important d’associer chaque projet numérique à un projet de réforme, permettant d’allier transition technologique et bonne gouvernance. La réforme de l’identifiant unique menée en Tunisie (décret-loi du 12 mai 2020) illustre cette double finalité de la digitalisation, puisqu’il s’agit de fiabiliser les données citoyennes tout en simplifiant les transactions électroniques.

La nécessaire concertation entre secteur public, privé et société civile

Malgré l’arrêt brutal des échanges du fait de la crise sanitaire, le numérique est un levier de continuité entre l’administration et le citoyen. Les grandes entreprises du secteur se sont mobilisées pour aider l’État, en mettant à disposition un pool de compétences. La crise est un catalyseur sur lequel il faut capitaliser : la transition numérique ne consiste pas seulement à « recopier » les choses en les informatisant ; c’est avant tout une occasion d’opérer une refonte des processus de coopération public-privé et un choc de simplification des démarches.

Dans ce cadre, les acteurs privés des métiers du droit doivent accompagner ce changement de paradigme. La présentation de la plateforme de gestion des contrats SCM (Séraphin Contract Management) illustre le caractère bénéfique d’une telle révolution des pratiques. Développée par Eurafrique.Legal, en partenariat avec NGSign et issue de la technologie de Seraphin.Legal, cette plateforme couvre de manière dématérialisée et collaborative l’ensemble des étapes précontractuelles, de la phase de négociation à celle de la signature.

Le notariat est une composante centrale de cette évolution. En effet, la Tunisie va connaitre dans les années à venir une révolution dans la pratique du métier de notaire. Un projet de loi permettra dans un avenir proche aux actes authentiques notariés d’être rédigés sur support électronique, alors qu’une loi de 2000 conférait aux actes notariés électroniques une simple valeur d’acte sous seing privé. Le texte doit encore être ratifié, et sera applicable d’ici un an ou deux. L’enjeu est de rattraper l’Europe qui permet depuis 2007 la signature d’actes notariés électroniques et reconnait leur valeur d’actes authentiques. La Tunisie doit suivre la dynamique internationale afin de stimuler les échanges économiques : l’acte doit être sécurisé, aussi bien techniquement que juridiquement. Le notaire étant chargé d’un service public, la coordination doit inclure les acteurs publics et le ministère de la justice.

Les pistes de réflexion à l’aune de l’expérience française

L’expérience de la digitalisation de l’administration française permet d’adopter une approche critique et prospective de la situation tunisienne.

La première leçon de l’expérience française devant être retenue est celle de la création d’un service public numérique au sein duquel les données seraient des biens communs. Le premier enjeu est celui d’un changement des mentalités. Les juristes ont longtemps tenu à une approche duale public/privé. Il faut aller contre les réticence pour refonder le service public numérique. De même, les professionnels du droit, interface traditionnelle entre administration et administrés, doivent comprendre que le numérique ne constitue pas un concurrent qui pourrait à terme les remplacer, mais bien un outil permettant de stimuler leur productivité.

De plus, les réseaux et les données qu’ils véhiculent doivent être des biens communs permettant d’en finir avec la concurrence entre les initiatives publiques et privées. L’exemple de Légifrance est parlant. En 2002, l’État a mis fin au système payant de centralisation des ressources juridiques, et Légifrance a permis la création d’un service public gratuit de l’accès au droit. Les acteurs privés comme Lexis ou Dalloz n’ont pas été favorables à cette évolution, et cherchaient à limiter l’ampleur de ce service public car préjudiciable à la plus-value de leur activité.

L’autre enjeu majeur est celui de l’open data et de la création d’un écosystème digital du droit. L’expérience française a mis en avant l’importance des API (protocoles facilitant la création de logiciels applicatifs) permettant au secteur privé de les exploiter et d’être à l’origine d’un effet cliquet bénéfique pour la collectivité. Par exemple, en 2014, l’ensemble du droit positif français a été ouvert en open data, et les acteurs privés ont pu capitaliser sur cette ouverture. C’est pourquoi une approche nouvelle doit permettre de réconcilier le public et le privé, surtout dans des pays comme la France avec une forte tradition centralisatrice et jacobine.  L’outil de la licence libre est un incontestable atout pour la création d’un service public du numérique en concertation avec les initiatives privées.

Les perspectives et les éventuels axes d’amélioration

La bonne gouvernance administrative et le monde du droit connaissent tous deux leur plus grande révolution depuis Napoléon, voir depuis Justinien.  L’accompagnement de cette révolution numérique se pose dès lors comme un élément essentiel, conditionné par un certain nombre d’enjeux devant être pris en compte.

Les limites du modèle actuel, qu’il faut pouvoir surmonter, sont multiples. Il s’agit d’abord de protéger le lien de confiance entre les trois piliers de la transition numérique que sont l’État, les entreprises et la société civile. De plus, il faut instaurer une culture de la simplification, de la réactivité et une stratégie sur le long terme. Enfin, la transition numérique de l’action publique doit comprendre un volet Cybersécurité, mais également un volet RGPD, de façon à répondre aux attentes du secteur privé et de la société civile en quête de stabilité.

La transformation digitale doit également être un levier de réforme générale de l’administration, via une approche globale de remise à niveau de la bonne gouvernance administrative. Par exemple, la réforme du droit des marchés publics est une composante importante de la numérisation de l’administration tunisienne, permettant d’offrir aux sociétés du numérique un terrain d’innovation et de remplir cette fonction duale de simplification et de catalyseur du développement économique. Les efforts initiés par la plateforme TUNEPS doivent donc être poursuivis afin de permettre une meilleure prise en compte des offres proposées par des acteurs nationaux.

Enfin, l’enjeu pour l’administration tunisienne est de se doter d’un arsenal juridique protégeant et valorisant la constitution d’un bien commun numérique et du cadre du partenariat publics-privé. Le volet de capital humain est important dans ce mouvement. L’émergence d’une jeunesse formée au numérique permettrait ainsi de créer une passerelle entre l’administration et les citoyens. La société civile et les initiatives non-gouvernementales doivent pouvoir jouer dans ce contexte un rôle actif et complémentaire aux efforts des pouvoirs publics.